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  • Yaga

Tahiti !

L’entrée dans le lagon de Tahiti par la passe de Taapuna, ce matin du dimanche 30 septembre, fut un immense soulagement. Tout Papeete semblait être là : les surfeurs se disputaient les places sur la vague à droite de la passe, de petits bateaux à moteur entraient et sortaient, leurs occupants parés pour prendre un bain de soleil ou observer les baleines à bosse qui croisent entre Tahiti et Moorea. Jean, depuis le cockpit, brandissait son Panpan en peluche pour lui faire partager toute cette animation, étourdissante après un mois en tête à tête avec ses parents, entouré par un océan vide. Avant de pouvoir nous reposer, il nous restait à trouver une place convenable. La Polynésie Française étant le seul état du Pacifique à avoir continué à accueillir les voiliers pendant la pandémie, ceux-ci se sont petit à petit accumulés dans les marinas et les mouillages, en particulier à Papeete. Point de place pour nous en marina donc, adieu rêves de douche chaude dans des sanitaires carrelés...Nous mouillons en eau peu profonde, dans l’axe d’une fausse passe, un peu coincés entre un voilier sur corps-mort et une patate de corail. Il nous faut mettre une ancre à l’arrière pour nous positionner correctement. Ça ira pour l’instant, nous n’avons qu’une seule envie : nous reposer dans ce bateau enfin horizontal et immobile !


Le lendemain de l’arrivée, nous gonflons fièrement notre dinghy flambant neuf, à gros boudins bien hauts sur l’eau et fond rigide en aluminium. Pour ceux qui sont venus à bord de Yaga du temps de l’ancien dinghy pliable, surnommé « le mouille-cul », « la périssoire », voire « l’épave » : sachez que le temps de la Compagnie du Dinghy Pourri est révolu ! Place à la Compagnie du Dinghy de Luxe et des Fesses Sèches !

Une fois mis pied à terre, c’est la honte ! Jean ne sait plus marcher : il tangue et zig-zague comme un vieux loup de mer imbibé de rhum. Il lui faudra deux jours avant de se remettre à aller droit…

C’est un bonheur de retrouver Tahiti, que nous avions à peine visitée en 2016 ; frangipaniers et bougainvillées sont en fleurs, il fait déjà chaud alors que la saison était encore fraîche à Nouméa. En revanche, on réalise d’un coup qu’on a bel et bien quitté notre petite bulle calédonienne indemne de Covid, où les gens bavardaient serrés comme des sardines aux terrasses des cafés, se faisaient la bise ou se serraient la main. A Papeete, la plupart des habitants vont masqués ; exit donc les sourires éclatants des Polynésiens et Polynésiennes, on se contente de petits signes de la main et de haussements de sourcils pour se saluer.

On se rue au marché couvert, grande bâtisse au cœur de Papeete, pour y acheter des fruits et légumes frais dont nous sommes sevrés depuis plus de deux semaines. Une décision gouvernementale malencontreuse d’importation de tomates alors que la production était déjà excédentaire a fait chuter leur cours vers des sommes inimaginables à Nouméa, pour notre plus grand bonheur.


Deux jours après, au mouillage, le vent tourne et nous emmène de plus en plus près de la menaçante patate de corail. Un petit tour dans l’eau permet à Damien de surprendre notre ancre arrière, vautrée sur le côté et glissant mollement le long de la pente sableuse du fond. Il la repositionne en ahanant et grommelant (elle pèse tout de même seize kilos). Pendant la sieste de Jean, depuis le pont, je tente de mesurer quelle hauteur d’eau recouvre la patate. J’ai beau faire de multiples mesures, il est évident que Yaga ne passe pas au-dessus, surtout avec le petit clapot que lève le courant de la fausse passe. Nous remontons nos deux ancres et partons en quête d’un mouillage plus favorable.

Nous le trouvons dans la petite baie de Vaitupa qui, pour le plus grand émerveillement de Jean, se trouve presque dans le prolongement de la piste de l’aéroport international de Faa’a. A chaque vrombissant passage d’avion (c’est-à-dire un ou deux vols internationaux par jour, plus les petits coucous privés) et pendant tout notre séjour au mouillage, Jean interrompt toutes ses activités pour se ruer dans le cockpit, son doudou à la main, en disant « Voir, doudou ! » et en exigeant que nous venions nous aussi nous extasier devant ce spectacle « Voir, papa ! Voir, maman ! ». Magie d’avoir un petit enfant : nous nous émerveillons aussi, car c’est vrai que c’est impressionnant d’observer ces masses d’acier s’arracher au sol.

Certes, c’est moins joli que côté récif, l’eau est un peu trouble et bleu foncé - car assez profonde -, mais on est sûr de ne toucher ni corail, ni bateau voisin, et plus le moindre clapot : à nous les nuits de profond sommeil, sans aucune arrière-pensée. Cerise sur le gâteau : à la tombée de la nuit, un grand hangar vide sur la berge se peuple peu à peu de jeunes hommes et jeunes femmes en paréu, on entend le long mugissement d’une conque, puis le son clair et saccadé des to’ere (petites percussions) et tout se beau monde se déhanche en rythme et chante. Ce sont les répétitions de la troupe Hei Tahiti : à nous le spectacle privé « qualité Heiva *» tous les soirs !


Nous avons profité de nos trois semaines d’arrêt à Tahiti pour faire les quelques réparations et remplacements de matériel qui s’imposent toujours après une grande traversée ; pour beaucoup nous reposer ; et pour visiter cette île à la beauté époustouflante, que de nombreux touristes ne font que survoler, pressés de gagner les Iles Sous-le-Vent. A cause de différents facteurs sanitaires, économiques, politiques et culturels, qui dépassent largement le cadre d’un billet de blog, la situation entre une partie de la population polynésienne et les voiliers de passage semble s’être dégradée durant les dernières années, notamment dans les îles du Vent accueillant de nombreux voiliers (Tahiti et Moorea ; les autres îles du Vent habitées, Maiao et Mangaia, n’en accueillent pas). Pour notre part, nous avons reçu à Tahiti un accueil chaleureux et généreux. De parfais inconnus nous ont offert de partager les plats de leur pique-nique à la plage, nous avons été invités au restaurant, on s’est intéressé à notre périple, on nous a raconté les histoires des enfants, petits-enfants, sœurs parties s’installer en Calédonie…


Au bout de trois semaines, reposés, rafraîchis par la vue de toute cette végétation luxuriante, nous étions prêts à repartir vers l’Est, toujours contre les alizés, mais cette fois par petits bonds, direction : l’archipel des Tuamotu.

Mauruuru Tahiti, mauruuru te aru, mauruuru avau **!

* Heiva : festivités du mois de juillet, sur tous les archipels de Polynésie ; par extension, le concours ayant lieu à cette occasion, où les meilleures troupes de danse et de chant s’affrontent place To’ata, à Papeete.

** Mauruuru : merci ; mauruuru te aru : merci la nature, la terre ; mauruuru avau : chanson traditionnelle d’adieux, voir par exemple la version enregistrée par Eddie Lund et la chanteuse Erena.

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