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  • Yaga

Tata Nouméa !

En ce vendredi 31 juillet 2020, notre décision est prise: nous partons dès que possible.

La météo, qui jusqu’à hier n’était guère engageante, nous promet désormais du vent favorable pour les premiers jours du voyage. La météo est toujours très importante pour les marins, encore plus pour ceux qui naviguent à force de voiles, et encore plus pour les fous ou les idiots qui, comme nous, envisagent joyeusement une traversée de plus de deux mille miles contre les alizés. Pour rappel, les alizés (ou même « l’alizé ») sont des vents qui soufflent sans se lasser d’Est en Ouest, aux latitudes tropicales.

Commence alors le marathon des administrations, prélude obligé à chaque sortie d’un pays. Visite de l'immigration, collecte de quelques coups de tampons, visite des douanes et nouveaux coups de tampons, puis visite des autorités portuaires pour toujours plus de coups de tampons. Cette fois s'y ajoute une formalité nouvelle : un aller/retour à l'hopital pour un test COVID par personne, précieux sésame qui nous évitera théoriquement la quarantaine à l'arrivée à Papeete.

Notre marathon est cette fois minuté : en ce vendredi matin, toutes les administrations ferment leurs bureaux à midi, et l'hôpital situé à Dumbéa, à 20 km de Nouméa, ne dispose que d'un seul créneau pour les tests à 10h. Nous avons déjà vendu notre voiture, ce sera donc un périple en bus.

Jean a emporté avec lui son doudou-poney, le doudou aventurier que presque rien n’effraie. Nous essayons de lui expliquer comment va se dérouler le test. Il ne comprend pas trop ce qu'on lui dit, pour lui c'est avant tout un super tour en bus. Arrivés à l'hôpital Médipôle, nous enfilons les masques que l'on nous tend, et découvrons un monde qui nous est étranger : celui du Coronavirus. La Nouvelle-Calédonie est jusqu’ici préservée de ce fléau, aucun cas de transmission n'y a encore été détecté et les frontières sont quasi-fermées, avec quarantaine obligatoire dans des hôtels dédiés pour les rares entrants. Du coup les Calédoniens vivent comme avant, les terrasses sont bondées, personne ne portent de masques. Le contraste avec le département COVID du Médipôle est frappant. Jean ne trouve pas le masque très drôle, il préfère que ce soit doudou qui le porte.


On sent que l'infirmière n’en est pas à son coup d’essai, le test en lui-même n'est certes pas très agréable, mais pas douloureux. Elle fait le prélèvement à Anne-Cécile pendant que Jean observe, puis elle a la gentillesse de mimer un prélèvement sur le gros nez de doudou-poney. Entraîné par l’exemple, Jean supporte stoïquement ses prélèvements. Les résultats nous parviendront dans la soirée.

De retour en ville, toujours en bus, je n'ai que peu de temps pour achever le marathon administratif avant la fermeture. Les bureaux des douanes sont en travaux. A l'opacité habituelle des procédures douanières s'ajoute un jeu de piste pour trouver le bureau qui me délivrera le sésame. je tourne en rond dans le bâtiment, me heurte à plusieurs portes fermées, autant de culs-de-sac. Quand je tombe enfin sur un être humain doué de parole, c'est pour me renvoyer dans un autre bâtiment, que j'ai pourtant déjà exploré. Enfin, une agente des douanes plus compréhensive que les autres, ou pas encore suffisamment formatée, accepte de quitter son bureau où elle prend le thé avec un collègue pour me délivrer mon papier. Il est midi moins 5, je cours sous la pluie jusqu'à la capitainerie et j'entre dans le bureau du port à midi passé de 3 minutes. L'officier de service jette un coup d’œil à l'horloge. Mon cœur s'arrête. Il me regarde, me sourit, et me dit "C'étais moins une". Grâces lui soient rendues, il se saisit de son précieux tampon, en assène une belle volée sur un bout de papier et me le tend. "Bon voyage".

De retour sur Yaga, je photographie tous ces documents et les envoie aux autorités de Papeete. Maintenant que les Pandores Calédoniens acceptent que nous quittions le territoire, il faut encore que nous nous fassions accepter par les pandores Polynésiens. La réponse ne se fait pas attendre cette fois, nous sommes les bienvenus en Polynésie !

C'est alors le branle-bas de combat pour tous préparer. Les copains mis au courant accourent également pour un dernier apéro au bar du port.

Samedi matin, jour du départ. Muni de mes précieux sésames de la veille, je cours au Shipchandler réaliser quelques achats détaxés avant le départ : la survie neuve qui nous attend depuis quelques mois et un nouveau dinghy qui vient remplacer la périssoire précédente, sur laquelle les rustines se décollent plus vite que je ne les colle.

Au moment de partir, nous avons un pincement au cœur de quitter Nouméa, où nous sommes arrivés il y a 3 ans. Nous y avons beaucoup d'amis, et Jean y est né et s'y est également fait des amis. A chaque pas, nous croisons un visage connu, avec qui l’on échange quelques mots hâtifs et maladroits, pressés par l’heure qui tourne, nous devons quitter la place de port avant midi. Certains ont fait le déplacement tout exprès pour nous faire leurs adieux. Celà nous rappelle le départ de France, il y a bientôt cinq ans, mais cette fois, c’est un départ sans projet de retour.

De fil en aiguille, de discussion en petit café, nous quittons notre place attitrée au ponton C bien après midi. Bien loin de nous le reprocher, les employés de la marina nous souhaitent un bon voyage avec leurs larges sourires habituels.


Yaga embouque la sortie de Port-Moselle, plus de trois ans après y être entrée avec son moteur boitillant. Cette fois-ci, bien bichonnée, elle est en pleine forme, sa peinture reluit, ses voiles sont neuves ou presque et son moteur ronronne. Alors qu’on emprunte le chenal familier entre l’île aux Canards et l’Îlot Maître, un évent nous attire l’œil : une baleine à bosse est là et nous salue de la queue, « dites bonjour de ma part aux copines à Moorea ! ». Dernier clin d’œil de la Calédonie : un véliplanchiste nous croise à vive allure en nous faisant un grand signe ; c’est le propriétaire de la maison que nous avions louée en mars pour accueillir les parents venus de France.


Emus aux larmes, nous fredonnons tout bas les paroles d’une chanson tahitienne « tu seras toujours pour moi la plus belle...Nouvelle-Calédonie »


Histoire de se remettre de ces émotions, nous mouillons le samedi soir dans l’anse toute ronde et très protégée de l’îlot Uere. Ce petit cocon est l’endroit idéal pour réparer le dessalinisateur et dormir deux bonnes nuits avant le départ.

Le lundi matin, l’ancre est levée, les voiles hissées dans la pétole et Yaga se dirige d’un pas de sénatrice vers la passe de Boulari. Il fait gris, le large est là, face à nous...pour la première fois depuis le départ de Port-Camargue, cap à l’Est !

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