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Jungle, chitras et polyéthylène : travaux à Panama

Yaga

D'un geste rageur, j'essuie la sueur qui me coule dans les yeux et tombe, au goutte-à-goutte, du bout de mon nez. J'examine d'un œil circonspect la petite portion de coque que je viens de nettoyer et poncer, propre, prête à être repeinte. La surface restant à faire semble paradoxalement plus grande que lorsque j'ai commencé à travailler. Je me remets à ma tâche, maniant la ponceuse haut au-dessus de ma tête, arrosant régulièrement la coque afin de ne pas inhaler les poussières de peinture antifouling, hautement toxique. L'eau mêlée de peinture coule le long de mes gants et sur le capuchon de ma combinaison de travail, finit par atteindre mon visage. C'est alors que je sens la morsure du premier chitra, qui annonce l'arrivée prochaine de centaines de ses semblables, et la fin de la journée de travail.

Une fois extraits du piège de Portobelo, nous avons fait sortir Yaga de l'eau à la Panamarina, située à quelques miles au Nord-Est. Haut perchée sur ses bers1, sur la zone de chantier de la marina, elle se fait chouchouter. Débarrassée de sa barbe d'algues vertes et des centaines de petits chapeaux chinois qui colonisaient la coque, elle reçoit une nouvelle couche de peinture antifouling, passant du bleu au rouge : le séjour cubain lui aurait-il laissé des traces ?

La safran2, démonté, est ensuite remonté avec des bagues neuves, son fémelot3 bien calé en place par des pièces taillées sur mesure par Damien en Polyéthylène Linéaire Basse Densité (comprenez : une planche à découper de cuisine...)

Le démarreur, démonté, révisé, pourvu de câbles neufs et de connexions grattées (= trois jours de travail entiers), nous inspire plus confiance qu'autrefois.

Un petit dessalinisateur, acheté d'occasion, produit bravement ses cinq litres d'eau douce en une heure : voilà qui devrait nous épargner de fastidieux aller-retour en annexe, chargés de bidons, dans les îles du Pacifique.

Tous travaux qui n'ont l'air de rien, sur le papier, mais qui nous auront coûté bien de la sueur : vu la température et l'humidité ambiantes à Panama, nous dégoulinons littéralement dès huit heures du matin, et le climat n'est guère plus clément la nuit. Quant aux chitras, bienheureux êtes-vous si ce nom vous est inconnu ! Ce sont de tout petits moucherons de mangrove, qui attaquent en théorie au lever et au coucher du soleil, en réalité à toute heure, dès que le vent tombe. Au lieu de piquer comme des moustiques, ils mordent, ce qui donne l'horrible sensation d'être dévoré vivant par des centaines de minuscules mâchoires.

Ajoutez à tout ceci ce paradoxe : le Panama est à la fois un carrefour du commerce mondial et une destination de plaisance très courue, à cause des archipels des San Blas côté Caraïbe, et des Perlas côté Pacifique. Pourtant, il n'y a aucun shipchandler digne de ce nom, tout ou presque doit être commandé en Floride !

Nous tirons donc deux leçons de ce séjour au Panama : bien se renseigner auparavant lorsque nous choisissons un endroit pour y faire des travaux. Une fois sur place, ne pas hésiter à s'épancher sur les malheurs de son bateau auprès d'autres navigateurs, devant une bière ou un jus de fruit frais : bien des problèmes ont trouvé leur solution de cette façon !

Bref, nous nous sentons fin prêts pour aborder un nouvel océan, et nous ne regretterons pas le Panama, malgré la beauté des paysages : beaucoup trop chaud pour nous !

1 ber : sorte de béquille que l'on met sur les côtés du bateau lorsqu'il est au sec, pour l'empêcher de basculer

2 safran : pelle située dans l'eau, à l'arrière de la coque, qui permet, en l'orientant, de gouverner le bateau.

3 fémelot : pièce métallique rattachant le safran à l'aileron qui le porte.

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