Pour la première fois depuis le départ de Port-Camargue, Yaga a eu l'honneur de visites d'une ribambelle d'officiels.
A l'arrivée à Santiago, arborant le petit pavillon jaune de quarantaine, nous sommes abordés par une fonctionnaire de la Santé, qui inspecte avec sérieux nos carnets de santé, puis nos stocks alimentaires. Il y a à Cuba des cas de Dengue et de choléra, nous voilà prévenus. En partant, elle réclame « un petit cadeau », seule fois de tout notre séjour cubain où nous serons confrontés à la corruption. Devant notre refus, elle n'insiste pas.
Après obtention de nos visas – valables un mois - , les Douanes montent à bord avec un jeune labrador noir, tout excité à l'idée de « jouer » - il est dressé à la balle. Il est incapable d'emprunter seul l'escalier raide de Yaga, sa maîtresse doit le porter. Il déchante vite à l'intérieur, visiblement Yaga ne sent pas la drogue.
Enfin, on nous établit un « despacho », que nous devrons faire viser à chaque arrivée et départ d'un port cubain.
Tous les fonctionnaires de la Guarda Frontera croisés par la suite forment un ensemble hétéroclite, au port de l'uniforme variable, constamment courtois et mal véhiculé, la palme revenant à ceux du petit port de Cabo Cruz, venus à bord en barque à rames (et nous étions mouillés assez loin du port, malheureusement pour eux !). Ceux-là étaient accompagnés d'un chien chercheur de drogue à l'aspect si peu martial que je leur ai demandé si c'était leur animal de compagnie – il ressemblait à une serpillière grisâtre.
En revanche, nous sommes restés cinq semaines à Cuba : il a donc fallu faire proroger nos visas, et se frotter à la bureaucratie cubaine. Ce n'est pas plus agréable qu'ailleurs, mais une grosse demi-journée aura suffi, malgré une péripétie imprévue.
Munis de nos passeports et timbres fiscaux, après quelques heures dans une salle d'attente bondée, nous sommes pris en charge par une fonctionnaire revêche, qui nous réclame l'attestation d'assurance médicale...qui est restée sur Yaga. Je m'apprête à repartir bredouille et résignée, quand Damien exhibe avec aplomb sa carte Visa, soulignant de l'ongle le petit carré où est écrit « assistance médicale ». Nous avons quitté la France depuis six mois, et n'avons acheté aucun billet d'avion : autant dire que nous ne sommes en rien assurés par nos cartes bleues mais, sans chercher plus loin, satisfaite de pouvoir remplir ses formulaires, la Gorgone nous accorde les prolongations de visa...ouf !
Pendant que nous patientons, deux Cubaines achèvent leurs formalités, et ressortent du bureau de « Tràmite » en criant de joie et en agitant au-dessus de leur tête des passeports flambant neufs.
Après quelques semaines sur place, l'impression d'être en permanence sous la surveillance d'un Argus aux cent yeux devient pesante. On nous demande de montrer les contenus de nos sacs en sortant de la marina (s'attendaient-ils à y trouver cinq cents exemplaires du Manuel du parfait petit capitaliste ?). Il est impossible d'inviter quelqu'un à bord, même au mouillage, sans le faire figurer sur la liste d'équipage ; il est complètement interdit d'inviter un Cubain, et passer inaperçu est illusoire, comme en a fait l'amère expérience l'équipage d'un catamaran, vertement sermonné pour avoir partagé une bière avec un Cubain la veille au soir. De même, un Cubain n'a pas le droit de vous laisser entrer chez lui, de vous prendre en stop...Certaines casas particulares, pourtant prêtes à recevoir des hôtes, n'ouvrent pas faute de l'autorisation adéquate...
Beaucoup de choses ont déjà changé à Cuba, restent un ensemble de règles reposant sur une idéologie à laquelle plus grand-monde ne semble croire.