Après une bonne journée de sieste, pour récupérer de l'arrivée mouvementée dans la baie de Santiago, nous partons le lendemain visiter le centre-ville. Premier gag en arrivant : nous n'avons évidemment pas de pesos convertibles, puisque cette monnaie n'a pas cours au-dehors de Cuba. Mais aucun distributeur n'est installé près de la marina et le centre-ville est à dix kilomètres. L'hôtel voisin, sur notre bonne mine, accepte de changer quelques euros.
La lancha (le bac) nous amène en une grosse demi-heure à la ville. Nous y parvenons au crépuscule. Une large avenue de deux fois trois voies court le long du front de mer. Elle est quasi-déserte, y passent quelques voitures rescapées des années 70, Lada en tête, ainsi que des carrioles à cheval.
Nous nous promenons dans les rues du centre, puis dans la rue Padre Pico, plus populaires. Toutes les familles prennent le frais sur le devant de leurs portes. Ca et là, un bâtiment est effondré.
Les rues nous semblent avoir un aspect bizarre, nous finissons par identifier ce qui manque : pas de voitures garées, aucune devanture de boutique, évidemment aucun panneau publicitaire.
Nous prenons notre premier mojito Cubain à une petite terrasse sans prétention : une merveille ! Arrive une musicienne à l'air un peu triste, qui fait couiner son accordé
on à l'oreille d'Anne-Cécile. Après un morceau et demi s'en est trop et nous demandons un répit : "por favor, no me gusta el accordeon"; Le visage de notre joueuse s'éclaire : "Vous préférez la guitare ? ". Elle rameute alors sa copine et voilà la situation transformée : D'un accordéon plaintif nous passons à un duo fort sympathique, guitare et chant, qui nous régale notamment de la chanson du train "pou-pou, tchan tchan !"
Nous passons la soirée à la Casa de la Tradición, où un groupe joue du són tout en éclusant du rhum, et en se disputant entre chaque set, comme il se doit. Je tâche de danser ; volontiers laudatifs, les Cubains m'assurent que tiene buen ritmo (vous avez un bon rythme). Hum, c'est gentil mais j'ai tout de même un doute...
L'un de mes cavaliers, au regard passablement flouté par le rhum, nous propose un cours de salsa et són pour le lendemain.

Nous passons la nuit dans une casa particular, ou chambre d'hôte. Etant l'une des rares entreprises autorisées par le gouvernement, elles prolifèrent et sont étroitement surveillées et lourdement taxées, 150 CUC par mois plus un pourcentage du bénéfice, une fortune quand on sait que le salaire mensuel d'un médecin est de 30 CUC. Notre hôtesse est très inquiète, car la terre a tremblé à plusieurs reprises la semaine précédente, certains dorment dans les rues de peur de voir leur maison s'effondrer.
Le lendemain, nous nous rendons chez le danseur de la veille. La maison est minuscule, la pièce principale a les dimensions d'un couloir, pas de peinture aux murs, ni de revêtement au sol. En revanche, télé et lecteur DVD trônent à la place d'honneur, et une bibliothèque contient livres de médecine et d'économie politique. Au-dessus de la porte, un signe cabalistique montre une langue transpercée d'un poignard, et surmontée d'un œil. C'est un signe de la santeria, religion qui mêle catholicisme et animisme africain ; il protège contre les mauvaises paroles.
Damien se concentre sur le rythme, fait une fois, deux fois la même erreur, puis fait mine de s'emmêler bras et jambes. Celà fait rire notre "professeur", mais il ne nous laisse malgré tout aucun répit pendant l'heure que dure le cours. Nous en sortons rincés !