
Eh bien, c'est bien difficile à résumer en quelques mots...Bien sûr, on était un peu émus au départ de Mindelo (mais moins qu'à Port-Camargue). Evidemment, on était fous quand on a aperçu la Barbade. Entre les deux...Je crois avoir, plus qu'à aucun autre moment, éprouvé l'élasticité du temps qui passe. Pendant les trois premiers jours, on ne fait presque rien de nos journées, et ce rien nous coûte des efforts infinis. Une bonne heure s'écoule souvent entre la pensée "Tiens, il faudrait faire la vaisselle" et le moment où l'on va chercher éponge et liquide vaisselle. On a l'impression que la traversée va durer une infinité de temps.
Puis, quand le mal de mer initial s'estompe, les jours se remplissent peu à peu d'une foule de petites activités : on lit beaucoup, on discute énormément, on fait un peu de couture (pas les voiles, pour une fois, juste pavillons de courtoisie), beaucoup de cuisine, encore plus de vaisselle. On observe le soleil au sextant et les étoiles à la jumelle. On scrute les bateaux que l'on rencontre, pendant des heures. On observe les oiseaux pêcher. On se précipite à l'avant (avec un harnais !) quand les dauphins nous rendent visite...
Ca n'a l'air de rien, mais les journées et les nuits passent ainsi comme l'éclair. A part au moment de remplir le livre de bord, on ne sait plus très bien quel jour de la semaine on est. On oublie de calculer la date et l'heure d'arrivée. On oublie qu'il existe d'autres couleurs que le gris, le noir, le bleu. A ce stade-là, la traversée pourrait bien durer trois semaines, quatre semaines : ça nous serait égal.
C'aura été, par-dessus tout, et au-delà de mes espérances, une belle aventure partagée, sans grincements de dents ni frictions promiscuitaires. Des palabres interminables dans le cockpit, où l'on fait semblant de ne pas être d'accord, parce que sinon "quel est l'intérêt de discuter?" ; la complicité au moment des passages de quarts de nuit ; la solidarité quand l'un ou l'autre est malade ou fatigué ; la bonne odeur d'ail ou de pain chaud flottant dans la petite cuisine...
Et sinon, la Barbade ? On a mouillé devant une plage, après avoir sué d'angoisse devant la côte où tous les feux étaient éteintes. On a bu une bouteille de champagne pour fêter ça. Le matin, on s'est baignés dans une eau si cristalline, sur un sable si blanc, qu'on croirait qu'elle n'est pas là. Puis on est repartis pour Sainte-Lucie, parce que les jet-skis, ça va bien cinq minutes, mais pas plus.