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Les mille terrasses de Saõ Antaõ

Anne-Cécile

Ph. Anne Mauberger

La navigation au sein de l'archipel du Cap-Vert se heurte à un obstacle : le manque d'abris suffisamment sûrs pour pouvoir y laisser son bateau sans surveillance. Rejoints par Anne, la maman de Damien, nous avons donc laissé notre belle Yaga se reposer à Mindelo, sur Saõ Vicente, pendant que nous explorions l'île voisine de Saõ Antaõ.

A chacune de nos cinq randonnées, l'île s'est montrée sous un aspect différent.


Le premier jour, l'aluguer (littéralement "à louer", taxi ou taxi collectif) nous a déposés à un col, au-dessus de la Cova de Paùl (le cratère de Paùl). En cinq minutes de marche sur un chemin pavé, nous étions entrés dans le cratère, parvenant du même coup au bout du monde. Des petites falaises en basalte, surmontées de pins, entourent le cratère sur presque toute sa circonférence, délimitant un cercle parfait. Le fond du cratère, légèrement concave, est entièrement cultivé en prairies de pâture et en petits champs de maïs, protégés des bêtes par des murs de pierre sèche. Nous traversons le cratère. Chemin faisant, on se rend compte à quel point nos campagnes se sont vidées, en France. Ici, on ne cesse de saluer à droite, à gauche, les hommes qui, par groupes de deux ou trois, grattent leur lopin de terre. Quelques génisses paissent à l'attache, on entend braire un âne, une odeur de maïs torréfié flotte sur ce lieu hors du temps.


Le chemin passe par une brèche dans la falaise ; suivant la luxuriante vallée de Paùl, le regard se porte jusqu'à la mer, mille cinq cents mètres plus bas. Partout : des terrasses de toute taille, les plus petites contenant tout juste un bananier, ou trois plants de canne à sucre. Le long des crêtes, des petites maisons sont bâties. Les plus petites – souvent des granges ou des étables – sont en grosses pierres volcaniques, et couvertes d'épais chaumes de canne. En dépassant l'une de ces maisonnettes, des grognements sourds attirent notre attention : une truie y est étalée sur le flanc, et une escouade de petits porcelets tachetés gambade dans la courette. Une chèvre maligne, à l'attache, plutôt que de s'étrangler en tirant sur son collier, a trouvé plus expéditif de se mettre à manger les cannes du toit.


Passant devant deux maisons, nous tombons dans un traquenard : une vieille dame, un peu forte, en tablier et un fichu sur la tête, nous ordonne en krioulo d'entrer dans sa cour, et nous sert chacun un petit godet de "ponche de mél" (punch de mélasse). Comme il est bon, nous en achetons trois petites bouteilles. Séduits par son visage taillé à la serpe, nous lui demandons la permission de la prendre en photo. D'un geste féminin universel, désignant ses vêtements, elle refuse : "surtout pas, vous avez vu comme je suis attiffée aujourd'hui?"


Zigzaguant entre les bananeraies – c'est quand même fort, le grogue – nous trouvons toujours des gamins pour nous indiquer la direction d'un geste large.


Le deuxième jour nous a amenés jusqu'à une cascade, où les jeunes du village se baignaient en poussant des grands cris : elle est froide ! Plus resserrée que la vallée de Paùl, la petite vallée qui monte jusqu'à la cascade est riche en arbres fruitiers, manguiers, arbres à pain, papayers et orangers. Nous croisons de nombreux paysans, montés pour couper et distribuer du fourrage à leur bétail, qui est toujours à l'attache.


Le troisième jour, nous sommes partis du village de Punta do Sol, au Nord, pour rejoindre Cruzinha Grande par le sentier côtier, suspendu le long de la falaise. Les villages croisés au cours de la balade sont véritablement vertigineux, agrippés au ras des falaises et accessibles seulement à pied.


Pour notre quatrième et dernière randonnée, l'aluguer nous a déposés au sommet de la promenade, empruntant au passage la spectaculaire Route de la Corde, juchée sur une arête et bordée par deux précipices. Assis dans le pick-up découvert, en short et les bras nus, nous étions congelés à coeur, avant même de pénétrer dans les nappes de brouillard qui couvraient les sommets. Cependant, ce fut l'occasion d'observer le phénomène des "pluies occultes" qui permet aux ruisseaux de ne pas se tarir lors de la saison sèche. Le brouillard, dans l'air froid des hauteurs, condense sur les aiguilles des pins et goutte sur le sol. Autant dire que nous n'y faisons pas de vieux os, et descendons , par un impressionnant chemin en lacets, jusque dans la vallée et au village de Xoxo.

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