Deux jours après la « marée noire », la situation à bord s'est améliorée, les derniers résidus de gazole ont été éliminés, l'odeur se dissipe, et avec elle notre mal de mer. Nous pouvons recommencer à manger et à dormir.
Le vent a molli, la mer est déserte, l'équipage en profite pour une douche générale et un bon repas. Le spi sort de son sac pour la première fois du voyage. Yaga se redresse, cesse de rouler des hanches et avance bien droit dans la houle, comme une dame distinguée.
Nous sommes à présent au large de la Mauritanie. Pour la première fois depuis le départ de Las Palmas, les étoiles sont nombreuses, mais le ciel trop clair pour que l'on puisse distinguer la Voie Lactée. L'oeil attiré par un éclat brusque sous l'eau, je me penche à l'arrière (note à destination des familles : attachée par mon harnais) : le safran de Yaga laisse derrière lui une poussière d'or qui scintille sur le noir absolu de la mer. La voilà, la Voie Lactée ! Réfugiée au fond de l'eau ! Par instants, des flashes puissants brillent à quelque distance du bateau : des méduses ?
Un bruit d'éclaboussures caractéristique, suivi d'un souffle désormais familier, me sort de mes méditations : les dauphins ! Ils sont nombreux, plusieurs dizaines, arrivant par l'arrière, traçant eux aussi leur sillage dans le plancton phosphorescent. Ils remontent à l'étrave et se mettent à y jouer, par bandes de quatre ou cinq. Assise à l'étrave, les pieds trempant dans l'eau à chaque vague (note pour les familles : toujours attachée par mon harnais), je les observe. Un halo de points lumineux les entoure, au milieu duquel leur forme sombre se dessine parfois si nettement que j'arrive à distinguer leur nageoire caudale. Quand ils descendent plus profond, au contraire, on ne voit plus que leur sillage comme une queue de comète, ou plutôt comme les fusées blanches d'un feu d'artifice.
Ils sont restés une vingtaine de minutes, en ne cessant d'émettre des « tiout » brefs, à la limite de l'audible. Puis ils ont disparu d'un coup, comme à leur habitude.
Dans aucun des récits de mer que j'ai lus, je n'ai trouvé de description de ce spectacle des dauphins-fées. Est-ce particulier aux eaux de Mauritanie ? Dans les années 30, au temps du voyage d'Odette du Puigaudeau, des langoustiers y venaient pêcher depuis la Bretagne. Les eaux y sont-elles particulièrement riches ? Nous verrons bien dans la suite du voyage si le phénomène « dauphins sons et lumières » se reproduit.
C'était incroyablement beau.
Deux jours plus tard, le premier poisson-volant rebondit sur la grand-voile, dans mon cou avant de retourner à la mer. Les jours suivants, nous en verrons de plus en plus, jusqu'à l'arrivée au Cap-Vert. Les Tropiques, enfin !
PS : la qualité des connexions nous bride un peu, mais même si nous n'y répondons pas, nous lisons bien vos petits commentaires sur le site, continuez à en laisser !