26 avril, il fait grand beau à Whangarei. Nelly est repartie la veille après quelques jours à bord, les pleins sont faits et les formalités de douane accomplies , il ne nous reste plus qu'à lever l'ancre pour la Nouvelle-Calédonie. C'est un soulagement pour nous d'enfin quitter la Nouvelle-Zélande. Non pas qu'on y ait mal été accueilli, mais la fin a été une succession de travaux et de jours de pluie, sans compter que le froid est venu avec l'automne dans l’hémisphère sud, ça caille ! La météo à la sortie de la baie n'est pas vraiment conforme aux prévisions, et au lieu de filer vent de travers on se retrouve à tirer des bords. A la tombée de la nuit nous réalisons que nos feux de navigation n'éclairent rien du tout. Ce n'est pas très rassurant d'être invisibles la nuit, les côtes sont quand même assez fréquentées. Nous prenons donc la décision de faire un stop éclair à Opua pour les réparer. Les douaniers sont accommodants et nous autorisent trente-six heures pour réparer sans avoir à refaire les formalités. Je grimpe donc au sommet du mât pendant qu'Anne-Cécile part à la recherche de la fuite d'air dans le circuit diesel qui provoque parfois des calages intempestifs. Le lendemain, le 28 donc, nous pouvons repartir. Le vent est de nouveau contraire, nous avançons donc au moteur dans le chenal d'Opua, face au vent. Celui-ci ronronne gentiment, nous progressons bien. Tout un coup un bruit suspect, et rapidement une vaste fumée blanche sort du tuyau d'échappement ! Allons bon, on coupe les gaz et on se déroute dans un joli mouillage de la Bay of Islands. On a un peu le moral dans les chaussettes : deux mois qu'on bricole sur le bateau, le moteur a été révisé récemment, et nous avons coup sur coup deux pépins ! Le lendemain matin, nous décidons que nous sommes un voilier après tout, et qu'on réparera ce fichu moteur à Nouméa ! Nous attendons trente-six heures une bascule de vent et nous repartons le 30 avril. La première nuit le vent forcit, la mer est forte, croisée. Les vagues les plus hautes font plus de trois mètres et nous prennent par le travers. A la hauteur du cap Reinga le vent monte à trente-cinq noeuds, quarante dans les rafales. Ce n'est pas très confortable, mais au moins on avance vite, 150 miles nautiques par jour ! Comme d'habitude dans ces cas là, nous sommes un peu verdâtre. Nous prenons une météo le premier mai, on voit apparaitre en extrême bordure du fichier météo des prévisions de vagues à sept mètres, mais cela ne nous alerte pas plus que cela, c'est au nord de la Nouvelle Calédonie, et puis c'est dans huit jours, bien au delà de la période de fiabilité d'un fichier météo. Deux jours après, alors que la situation à bord s'améliore avec des vagues et du vent dans le bon sens, nous reprenons la météo. La prévision de vagues se confirme. Elle a même empiré ! Ce sont maintenant des creux de douze mètres qui sont annoncés ! Douze mètres, c'est rien de moins que la hauteur de notre mât... Je pars à la recherche d'informations supplémentaires, à la vitesse poussive de notre connexion satellite. Le débit de 12 kilo-octets par minute (oui oui, par minute ! ) ne permet pas de surfer comme à la maison, mais heureusement il existe des services pour les marins qui permettent de récupérer des analyses météos assez facilement. Rapidement le verdict tombe, il s'agit d'un CYCLONE ! Et pas un petit en plus, DONNA est classé catégorie 3.

La nouvelle fait un peu l'effet d'une bombe à bord de Yaga. Quoiqu'on fasse , elle n'est pas conçue pour affronter un cyclone. Aucun bateau ne l'est vraiment d'ailleurs. Normalement il ne devrait plus y avoir de cyclone à cette saison, mais il faut croire que Donna n'est pas au courant de son incongruité... C'est la panique ! Le cyclone est LE cauchemar du marin. Les forces en jeu sont énormes, et les modèles météo sont encore peu fiables pour prévoir leur déplacement et leurs évolutions. Anne-Cécile commence à recenser tout ce qu'il faudrait caler à bord pour affronter des vagues énormes. Pour ma part je cogite en me grattant la tête. Nous plongeons dans les bouquins de météo. Après plusieurs heures de stress intégral nous essayons de faire preuve de sang-froid. Nous avons la chance d'être prévenu quatre jours à l'avance, nous sommes encore à près de mille miles nautiques du cyclone. Nous avons 2 options :
Soit nous fonçons vers Nouméa, où nous devrions normalement arriver douze heures avant le cyclone. Il existe moultes baies bien protégées dans le lagon Calédonien et nous pouvons aller nous y planquer.
Soit nous décidons d'aller le plus loin possible de la trajectoire du cyclone. celui-ci avance très lentement, à moins de dix noeuds, et a une envergure assez faible, à deux cents miles de l'oeil les vents ne sont pas trop méchants, et les vagues certes très hautes mais théoriquement pas casse-bateau. En prenant régulièrement sa position et sa trajectoire prévue pour les jours à venir, il doit être possible de l'éviter.
Un débat animé à lieu à bord, et finalement la décision est prise d'aller plein ouest, là où le cyclone ne devrait pas aller d'après les météorologues. En effet, l'option de foncer pour se mettre à l'abri est tentante mais trop risquée : si le monstre se déplace plus rapidement que prévu, ou si nous avons le moindre pépin sur les voiles qui nous retarderait, nous nous retrouverions pris au piège, au pire endroit au pire moment. La route à l'Ouest nous emmène vers la petite ile Australienne de Norfolk située à à peine 150 miles nautiques. Nous y arrivons de nuit et voyons les lumières briller dans les maisons sur la côte. Nous imaginons le confort des pubs australiens, où nous pourrions nous reposer en écoutant la pluie tomber au dehors. Nous salivons à la perspective d'un bon fish and chips avec une bière fraiche... Hélas, trois fois hélas, les mouillages de l'ile sont très mal protégés. En fait, avec les fonds qui remontent à proximité lèvent la houle, et la situation est encore pire qu'au large. C'est donc la mort dans l'âme que nous continuons vers l'Ouest. Nous réduisons la toile, rien ne sert d'avancer vite... C'est alors 3 jours de progression lente, sans but si ce n'est d'éviter un cyclone. Exercice qui n'est d'ailleurs pas très compliqué puisque Donna reste stupidement plantée au dessus des Vanuatu, loin de nous. Nous n'avons pas vraiment à nous plaindre des conditions météos, mais j'avoue qu'avancer sans but sous la menace d'un ouragan est un exercice qui me tape sérieusement sur le système... Nous sommes moroses. Enfin, le 9 mai, alors que nous devrions être déjà arrivés, le cyclone commence à bouger, il semble confirmer la trajectoire prévue depuis déjà quelques jours, nous obliquons vers le nord. Enfin nous allons dans la bonne direction. La suite du voyage ne fut pas vraiment une partie de plaisir, même si nous sommes passés loin de Donna, nous avons quand même eu des vagues de plus de quatre mètres et des vents à trente-cinq noeuds de face, mais au moins nous n'avions plus le stress de se trouver au mauvais endroit ! Le 13 mai au petit matin, l'ile de Grande Terre apparait devant nous. la passe de Dumbéa est franchie vers onze heures, nous pénétrons dans le lagon, il n'y a alors plus aucune houle, la mer est magnifique ! Les nerfs tiennent jusqu'à ce qu'on s'amarre au ponton, où la maman d'Anne-Cécile nous attend depuis une semaine. Nous nous effondrons, épuisés, et passerons deux jours à ne rien faire pour nous remettre de nos émotions ! Quand nous émergeons enfin, c'est pour réaliser que tout ceci en valait la peine : La Nouvelle-Calédonie est un pays d'une incroyable beauté où nous sommes accueillis partout avec un grand sourire !
