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  • Yaga

Rencontres, ep. 2 : Sombre héros


Pas de bon blog sans mauvais calembour. Voilà la seule justification de ce titre idiot au deuxième post de la série consacrée à cette première année de rencontres autour du monde. Non qu’Eric soit un personnage sombre ; mais son bateau l’est. Drapée dans sa coque noire comme Dark Vador dans sa cape, la Mésange Noire, étrave inversée, coque planante et grand boute-hors, détonne franchement au milieu des carènes sages des autres voiliers de grand voyage.



Lors de notre entrée à Portobello, au Panama, de sinistre ou plutôt glauque mémoire, nous avons tous les trois (nous avions à bord Verena, bateau-stoppeuse instoppable) remarqué ses formes hardies. Même Verena, pourtant novice à l’époque, avait trouvé que c’était un bateau « badass »*. Lorsque nous avons croisé au bar des marins du coin son équipage, nous avons sauté sur l’occasion d’en savoir plus sur cet étonnant voilier.


Eric est chercheur en immunologie de son métier et régatier acharné. Durant sa carrière bien remplie, il étudia notamment, avec succès, les délais de production de diverses immunoglobulines. A côté de sa carrière de chercheur, il trouvait encore le temps de bâtir divers dispensaires au Sénagal, et de s’y rendre à plusieurs reprises. Il faut l’entendre raconter les départs des barques de pêcheurs sénagalaises qui quittaient la terre pour plusieurs jours d’affilée en mer, sans autre instrument à bord que le sens marin de ses occupants.

Avisant un jour un multicoque (Multi 25?) en lambeaux sur un bout de quai, il passa un accord avec le propriétaire : lui, Eric, restaurerait le multi, en échange, il aurait le droit de régater plusieurs saisons à son bord. Et pour que l’aventure profite au plus grand nombre, il imagina de faire participer au chantier des gens à la dérive et qui voudraient reprendre la barre sur leur vie. Hop, Eric monta une association, d’abord pour le chantier, puis pour les régates. Ça a fonctionné, le mutlicoque navigua à nouveau et quelques-uns des participants au projet, au sortir de cette expérience, prirent la mer au lieu de prendre des cochonneries.


A la retraite, il décida qu’il était temps de partir pour un grand voyage en voilier. Il lui fallait donc trouver sa monture.

De nombreuses discussions avec des amis, coureurs au large, l’avaient amené à conclure que, pour naviguer dans des eaux difficiles, deux choix sont possibles : le bateau-coffre-fort, quasi-indestructible et capable de supporter toutes les conditions qu’il affronte avec une sage lenteur. Et le bateau suffisamment véloce pour pouvoir choisir sa météo et éviter le plus gros des dépressions, solution séduisante, mais encore faut-il être capable de mener un engin pareil. Mangeur d’écoutes enragé, Eric opta évidemment pour la deuxième solution.

Hélas ! Aucun bateau de voyage ne lui semblait rentrer dans cette catégorie. Qu’à cela ne tienne, il le construirait lui-même. Il n’en était pas à son coup d’essai, ayant passé le cap de la quarantaine en construisant un Mini 6,50. Mais ce chantier-là avait tout de même une autre ampleur : il dura quatre ans. Eric – selon ses dires – y travaillait 35 heures par semaine, chômant les week-end et cinq semaines de vacances par an, parce qu’il ne voulait pas y consacrer ses jours et ses nuits, après tout, il avait aussi une vie de famille.

Le résultat : un bateau de douze mètres, en contreplaqué-époxy, beau, soigné, et capable – toujours selon les dires de son skipper – d’atteindre sans effort les quinze nœuds. La belle monture et son skipper, accompagnés d’équipages novices, ont fait en quatre ans (six mois de navigation par an et six mois de retour en France) le tour de l’Amérique du Sud, sur les traces de Darwin : transatlantique jusqu’au Brésil, descente le long des côtes uruguayenne et argentine, canaux de Patagonie, remontée le long du Chili et du Pérou et traversée jusqu’aux Galapagos. Puis , retour sur le contient au Costa Rica, sans moteur et vent (faible) debout, passage du canal de Panama.

Depuis Panama, où nous les avons croisés, ils voulaient faire escale à Kingston en Jamaïque pour voir le stade où s’entraîne Usain Bolt (Eric est aussi coureur de fond), une autre à Cuba pour assister au concert des Rolling Stones à la Havane...



* mauvais garçon

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