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Les baleines de Niue

Yaga

Elle souffle !

Quittant Maupiti et la Polynésie française à la fin du mois d'août, nous avons renoncé à visiter les îles Cook, en particulier les atolls si isolés de Palmerston (cinquante habitants, terre la plus proche à 200 miles) ou Suvarov, terre d'élection de Tom Neale, Robinson volontaire dans les années 70 (An Island to Oneself, excellent petit livre qui se lit d'une traite). La traversée vers Niue ne fut pas de tout repos. Minés par le manque de vitamines – les aliments frais se sont faits rares à bord ces derniers temps -, nous affrontâmes avec une certaine morosité grisaille, pluies froides et abondantes ainsi que pétole et houle de travers. Le coup de grâce des dernières vingt-quatre heures, un problème de connexion électrique (running gag de cette croisière) empêchant le moteur de recharger les batteries ; en temps normal, celà nous aurait été égal, mais comme par hasard ce jour-là, une épaisse boucaille rendait nos fidèles panneaux solaires inopérants, du jamais-vu depuis Gibraltar !

Autant dire que c'est avec soulagement que nous nous dirigions, en ce samedi 10 septembre, vers l'un des corps-morts de la baie d'Alofi, île de Niue. Et là, entre les coques de deux voiliers au mouillage, Damien aperçut un évent puissant, un dos noir et luisant s'arquant sur la mer grise, puis disparaissant. Comme les baleiniers d'autrefois, on s'écrierait volontiers "elle souffle !". Cette magnifique baleine à bosse, un peu plus grande que Yaga, a croisé dans le mouillage tout l'après-midi. Son baleineau, nageant sagement à ses côtés, lançait parfois ses quelques tonnes dans de joyeuses évolutions : sauts hors de l'eau, chandelles, battements de queue. Difficile de se faire une idée de la taille de ces bêtes avant d'en avoir vu "en vrai". Plusieurs personnes avec lesquelles nous avons discuté, qui ont eu la chance de nager à côté des baleines, ont commencé par se dire "quelle grosse baleine que voilà" avant de s'apercevoir qu'ils n'avaient affaire qu'au baleineau...

Ce fut un premier contact triomphant avec Niue, petit pays semi-indépendant dont, comme nous avant de naviguer dans le Pacifique Sud, vous n'aviez probablement jamais entendu parler. Le contigent touristique, assez développé, est quasi-exclusivement composé de Néo-Zélandais, ce qui nous donna un avant-goût de l'accent que nous devrons apprivoiser lors de notre "estivage" là-bas. Comme disent les Polynésiens, "c'est pas évident", le trait le plus saillant de cet accent consistant à remplacer quasi tous les sons "e" par des "i". Par exemple, vous direz en cas de forte pluie : it is viry wit today.

Quant à Niue elle-même, mis à part le temps anglais et l'habitude déplorable des habitants de rouler à gauche, c'est une île étonnante et splendide. A l'origine, il s'agissait d'un atoll, formation corallienne à fleur d'eau. Mais cet atoll a subi une élévation de plusieurs dizaines de mètres au-dessus du niveau de la mer. Aujourd'hui, Niue est donc un plateau hérissé de roches blanches et grises, couvert de maquis et de forêts, entouré de petites falaises surplombant un platier étroit et peu profond. Ces falaises sont creusées de multiples grottes, failles, mini-canyons recueillant des résurgences d'eau douce : autant de petites merveilles, nous ne savions plus où donner de l'objectif ! Ensuite, les fonds plongent très vite et à très grande profondeur : à deux miles (soit moins de quatre kilomètres) de la côte, les sondes sont déjà supérieures à mille mètres. Aucune rivière sur l'île, donc pas de sédiments. La mer est fraîche, peut-être à cause d'un courant remontant du Sud. Tout ceci concourt à donner aux eaux qui entourent Niue une clarté exceptionnelle, même pour le Pacifique. Depuis le pont du bateau, nous pouvions sans peine observer les évolutions des poissons au fond, à quelques vingt mètres de profondeur, même sans soleil ! L'absorption très particulière de la lumière par cette eau cristalline lui confère un bleu profond, nous donnant l'impression d'être mouillés à la surface d'un saphir...

Cherchez bien, on voit une queue de baleine à gauche de l'arc..

Les habitants de Niue, quoique accoutumés à la visite d'étrangers, ne laissent pas d'être souriants et accueillants : de vrais Polynésiens. Comme de juste, on nous a offert papayes et bananes tout en discutant de notre périple. Une petite dame du marché, lorsque Damien lui a signifié qu'il partait, a levé les sourcils d'un air surpris et déçu : pensez, ça ne faisait qu'une toute petite demi-heure qu'ils papotaient ensemble !

Malheureusement, il nous restera de cette visite un regret cuisant. Ayant rechigné à nous lever à cinq heures du matin pour le marché, nous sommes arrivés trop tard pour pouvoir acheter un de ces fameux Uga (prononcez "unga" ; kaveu en tahitien), crabe de cocotier dont la chair rappelle la langouste. Le Uga appartient à ceux qui se lèvent tôt !

Si vous visitez cette merveilleuse petite île, ne manquez pas de vous attabler à la terrasse du très joli et tout neuf Hio Café, au-dessus de Hio Beach. Les chutneys y sont savoureux, vous avez vue plongeante sur les baleines qui pourraient croiser au ras du rivage, et des petits tableaux y sont exposés. L'artiste, l'oncle du propriétaire, est venu nous parler de ses oeuvres, chaussures de sécurité aux pieds et gilet réfléchissant sur le dos – il entretenait les abords de la route. Ses sculptures géantes, dont nous avons vu des photos dans son book, sont assez remarquables, l'une d'elles est partie jusqu'en Chine.

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