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Gousses dodues

Yaga

Gousses dodues


Juillet s'acheminait vers sa fin. Toujours empêtrés dans nos histoires de devis et de réparations suite à l'abordage de Fakarava, nous nous retrouvons à Raiatea, en attente d'un devis, amarrés le long du Fetia Nui Ferry, affreuse baille qui étale ses murailles rouillées devant le chantier Raiatea Carenage Service. Inutile d'y rester le week-end, comme on nous l'a gentiment proposé : la petite* île de Tahaa, toute proche, est une destination idéale.

Assez semblables à un i dont Raiatea serait la barre, un peu renflée à la base, et Tahaa le point, ces deux îles partagent le même lagon, qui est suffisamment profond pour permettre aux voiliers de faire le tour complet de Tahaa. C'est ce que nous entreprenons le premier jour à Tahaa, mais la perspective de tirer des bords serrés face à vingt-cinq noeuds de vent établi nous fait renoncer. A vrai dire, il nous aura fallu quinze minutes de douche salée continue, avant que je ne grommelle qu'il y avait peut-être "des manières plus agréables de passer le temps". Nous découvrons ensuite que, même au midi d'une journée ensoleillée, il n'est pas raisonnable d'aller zigzaguer entre les têtes de corail lorsque le clapot empêche de voir sous l'eau.


"Anne-Cécile, tu surveilles bien ce qui se passe devant ?

- Oui, oui, quelle profondeur au sondeur ?

- Sept mètres d'eau...Euh, quatre maintenant !

- BARRE A TRIBORD ! CORAIL !

- Mais y'a aussi du corail sur tribord !"

On en tremblote encore comme une assiette de po'é**.


Bref, après toutes ces émotions, nous attrapons avec soulagement un corps-mort dans la baie de Hurepiti, à l'Ouest de Tahaa, pour aller faire un tour de l'île avec Noé Plantier, de Vanilla Tour. Sagement rangés, à l'arrière de la petite camionnette, nous profitons de belles vues sur le lagon, tout en écoutant avec attention les explications détaillées de notre cicerone sur la flore, notamment toutes ses utilisations traditionnelles.


Tahaa est notamment très réputée pour sa vanille, exportée sous le nom de vanille de Tahiti. Inutile de vous précipiter dans votre épicerie fine préférée, la production est aujourd'hui si réduite qu'elle couvre à peine les besoins locaux et la vente directe aux touristes. Seuls quelques chefs pâtissiers parviennent à s'en procurer, et l'annoncent en général sur leur carte à grands sons de trompe.

La vanille est une orchidée provenant d'Amérique centrale. Elle pousse en longues lianes d'un vert vif, s'agrippant à un arbre qui lui fournit support et ombre. Dans les vanilleraies, des arbustes supports sont plantés ; vu la pluviométrie sur Tahaa, il suffit de planter en terre un rameau, qui s'enracine et pousse des feuilles en trois mois ! Le pied de vanille s'accroche à son support, et s'élance vers de haut. A l'état sauvage, les lianes peuvent monter à plus de quinze mètres de haut ! Dans les vanilleraies, lorsqu'elles atteignent deux mètres, les lianes sont recourbées jusqu'au sol, puis remontées sur leur support.


Au bout de deux ans et demie, les plants de vanille peuvent fleurir. La floraison est déclenchée par la fraîcheur des nuits (idéalement 18°C). Une inflorescence en grappe d'une petite vingtaine de boutons apparaît ; un seul bouton s'ouvre chaque matin, en une grande fleur d'un blanc cassé, qui flétrit et tombe le soir même si la fécondation n'a pas eu lieu., telle la rose de Ronsard. Dans les pays d'origine de la vanille, la pollinisation se fait naturellement. En Polynésie, l'insecte pollinisateur n'existe pas, il faut donc "marier" les fleurs à la main. Armé d'un petit bâtonnet taillé en pointe, le pollinisateur prélève la petite touffe de pollen, puis la dépose sur la partie femelle de la fleur, dissimulée sous un petit clapet. L'opération est assez délicate ; un de nos amis marquisien a absolument refusé de croire qu'un insecte en était capable.

Après fécondation de la fleur, une grosse gousse verte se forme lentement. Au bout de neuf mois, elle noircit : il est temps de la récolter. La gousse est alors dodue, lisse, d'un noir brillant et elle dégage déjà un discret arôme de vanille.

Après la récolte, vient le temps du séchage. Celui-ci ne doit pas être trop rapide, afin de permettre la poursuite des fermentations qui permettent le plein développement des arômes de la vanille. Les gousses sont exposées en tas au soleil, trois à quatre heures par jour, en étant retournées toutes les demi-heures. A chaque averse – elles sont nombreuses à Tahaa – et chaque nuit, il faut rentrer les gousses à l'abri, enroulées en tas dans des couvertures qui conservent la chaleur de la journée. Un travail de patience ! Cette étape est critique : si la vanille n'est pas assez séchée, elle présente un aspect trop lisse, plaisant à l'œil, mais sa conservation sera très décevante.

Une gousse de bonne qualité se conservera, sans perdre son arôme, pendant plusieurs années, soit sous son emballage d'origine (tube en verre ou en plastique), soit enfouie dans un pot de sucre, soit baignant dans quelques centilitres d'alcool fort. Certains utilisent la même gousse pour cuisiner deux, voire trois plats, en la rinçant et la séchant entre chaque utilisation.

Quant à l'éventail des recettes possible, il est vaste ! Glaces et pâtisseries, crème anglaise, flan ou riz au lait bien sûr. Mais aussi en sauce, à la crème ou au beurre, pour accompagner volailles ou poissons (par exemple du mahi-mahi, mmhh...)


* six miles nautiques de diamètre, soit un peu plus de dix kilomètres.

** dessert polynésien ("poké" aux Marquises) gélatineux, à base de banane ou potiron, amidon de manioc et vanille.


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