Après plus de deux semaines de travaux sur la coque et le pont, Yaga est tout à fait remise, grâce aux bons soins du chantier Raiatea Carénage et Raiatea Marine. De notre côté, nous en avons profité pour mener un grand projet qui nous tenait à cœur (et pour cause) : la dépose de tous les panneaux en plexiglas du rouf, et la repose avec du Sika frais et des vis pour tenir tout ça en place. Il nous aura fallu une semaine d'acharné labeur, dont nous sortons avec la conviction que l'inventeur du Sika est probablement la plus grand malfaiteur de l'humanité depuis Hitler. Depuis, nous avons révisé notre jugement, attendu que – enfin, ENFIN ! - l'intérieur de Yaga est sec, fût-ce sous une averse tropicale. Fini, le ballet des bassines et la symphonie du plic-ploc ! Gloire donc au Sika et à son diabolique inventeur, espérons que ça durera. La perspective de longs bords de près, avec leurs paquets d'eau de mer balayant le pont en continu, nous terrorise moins à présent. Le dernier épisode, avant l'étanchéification, nous avait laissé des souvenirs cuisants ("Fronte Frio", le 24 janvier).
C'est donc le cœur content et heureux de naviguer à nouveau que nous avons quitté Raiatea, le 16 août, entraînant dans notre sillage Puffin* ; à son bord, Sebastian et Suzie ont plutôt le projet d'aller vers l'Est de la Polynésie, où ils passent six mois. Mais nos hyperboliques évocations des beautés supposées de Maupiti les ont décidés à faire un peu d'Ouest. La réputation détestable de la passe d'entrée dans le lagon a probablement tout autant joué dans leur décision de se joindre à nous.
Tous les locaux nous répètent à l'envi :
"Hé, tu vas à Maupiti ? Yeah, c'est beau ! Mais attention la passe, hein ! Fais pas comme le Aremiti !"
Le Aremiti, gros catamaran de transport de passagers, trône à terre à côté de la darse du chantier de Raiatea, le flanc ouvert, suite à une erreur de pilotage dans la passe de Maupiti. Nous voilà prévenus.
Les conditions météo sont bonnes, la houle inférieure à 1,50 mètres, ce qui est plutôt rare dans le Pacifique Sud, et le vent modéré. Donc, foin des oiseaux de mauvais augure, go. Le trajet au portant depuis Bora se passe sans histoire, et nous longeons bientôt le Sud de Maupiti.
Nous ne voyons pas encore le récif et nous sommes encore à un mile de la passe, mais une sorte de halo blanc lumineux semble la surmonter, ce qui nous fait passer un frisson le long de l'échine. C'est l'écume des déferlantes qui s'écrasent sur le récif. Voiles affalées, moteur démarré, nous nous présentons à l'entrée de la passe, ouverte plein Sud, face à l'éternelle houle du Pacifique, qui remonte tout droit des quarantièmes rugissants. Heureusement, le balisage en Polynésie a dû être conçu par un Breton maniaque : on peut donc suivre des alignements et, dégagés du souci de la navigation, se concentrer sur la conduite du bateau dans les vagues. Pas de déferlantes dans l'axe de la passe, heureusement, mais Yaga se fait quand même secouer comme un pick-up sur une route marquisienne.
Une fois le récif passé, la passe s'incurve en une longue et étroite allée turquoise, bordée par deux motus** et s'ouvrant en une splendide perspective sur le lagon et la falaise de Maupiti. Une véritable voie royale ! L'adrénaline aidant, nous sommes euphoriques...

Entourée par un lagon peu profond et par quatre grands motus, la toute petite île de Maupiti est d'une étincelante beauté. Certes, elle n'a pas un relief aussi majestueux que sa voisine Bora, dont on nous a dit que le nom polynésien – Popora – évoquait le verbe applaudir. Mais, dépourvue de grands complexes hôteliers, elle dégage un charme et une douceur de vivre inexprimables. Les grandes raies mantas planent dans le lagon, ainsi que quelques raies armées ; nous avons même vu une tortue (on ne s'en est pas vantés, certains les chassent encore par ici).
Elle se mérite, cette île, mais quelle récompense !
* Quand je dis que Puffin était "dans notre sillage", ç'a été vrai pendant un bref moment, mais le Sillage 36 nous a proprement déposés sur le trajet entre Raiatea et Bora, où nous avons relâché pour la nuit. Inutile de dire que nous étions vexés comme des pous.
** motu : petit ilôt sur l'anneau corallien ceinturant un lagon.