Le voyage, c'est le présent.
Nous l'avions déjà éprouvé dans la traversée du Pacifique, lorsque nous étions encore si loins de l'arrivée, qu'il était impossible de calculer une date d'arrivée. Tout projet futur s'était estompé, pas de prévision, pas de plan, seulement les quarts qui se succédaient, les vagues qui nous soulevaient les unes après les autres. C'était le règne absolu du présent.
Nous voilà confrontés à la même sensation, mais cette fois-ci, à l'escale. Yaga était depuis deux jours amarrée à un corps mort*. Maman venait juste d'arriver à bord, et nous papotions dans le cockpit, sous un beau soleil au zénith. Un joli voilier à coque bleue approchait du mouillage sous voile, je lui tournais le dos. Lorsque je me retournai à nouveau, il s'étai singulièrement rapproché de nous, à bonne allure. Le temps de réaliser qu'il ne nous avait pas vu, de bondir à l'avant et de nous époumoner, il avait percuté de plein fouet l'avant de notre belle Yaga, dans un horrible fracas. Son ancre, préparée sur le davier, a ravagé les chandeliers et le tangon. Un hurlement animal me monta au lèvres : "Mon bateau ! Mon bateau !"
Bilan : coque fissurée sous la liaison coque-pont, celle-ci enfoncée dans la fibre, pont soulevé, fissuré, délaminé, chandeliers tordus et leur base arrachée, rail de fargue tordu.
Saisis par le choc, nous voyons déjà notre voyage et la vie de notre bateau chéri s'achever ici, dans cet atoll des Tuamotus.
Heureusement, tout le mouillage ou presque veille sur la VHF, tout les marins alentours sont au courant. Nos amis de Saltimbanque des Flots et d'Arumbaya viennent à bord, nous réconforter et nous aider à jauger la gravité des dégâts. Dans les jours qui suivent, tout ceux qui ont des connaissances en fibres composites viennent ausculter Yaga, car il n'y a ni pas de chantier à Fakarava. Les diagnostics sont unanimes : avec des soins dispensés par un professionnel, Yaga survivra, et sera aussi costaud qu'avant.
Il n'y a plus qu'à attendre le feu vert de l'asurance pour déplacer le bateau jusqu'à un chantier compétent. En attendant, balades sur l'atoll de Fakarava, snorkelling, slackline, visite de ferme perlière, couchers de soleil sur le lagon...Nous ne sommes pas à plaindre !
Du coup, notre programme est singulièrement bouleversé, nous ne pourrons peut-être pas passer l'été austral en Nouvelle-Zélande...Nous verrons bien ce qu'il advient, c'est le début d'une nouvelle péripétie, mais pas la fin de l'aventure !
Nous remercions du fond du cœur pour leur soutien et toutes leurs propositions d'aide les équipages de SDF, Jambote, Arumbaya, Jambon-beurre ; Dominique, l'homme providentiel qui a travaillé avec Grand Soleil ; Stéphanie et Aldric, de Faka Yacht Service.
* cordage relié à une chaîne, elle-même fixée à un poids reposant au fond de l'eau à un bout, à une bouée à l'autre bout. On peut attacher l'avant du voilier à la bouée.