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Un voyage comme en rêve : Tahuata

Yaga

Le rythme de nos publications sur ce site s'est nettement ralenti depuis quelques temps...La faute à une connexion lente et pas toujours disponible, certes, mais la faute surtout à des journées remplies comme des oeufs ! Du saut du lit jusqu'au soir, nous n'arrêtons pas. On essaie de se mettre au rythme marquisien : debout au plus tard à cinq heures, parfois à trois heures pour profiter de la fraîcheur, puis on brasse jusqu'à huit ou neuf heures du soir, le temps de pêcher le poisson à la tombée de la nuit, de le préparer et le manger.

Il nous est difficile de raconter notre séjour à Tahuata, toute proche d'Atuona, Hiva Oa et qui semble pourtant si loin de cette "grande ville", la mégalopole des Marquises Sud. Imaginez un peu, pas moins de trois épiceries, une Poste ouverte matin ET après-midi, des routes bétonnées, un musée, deux cafés, collèges, lycée et base militaire. Après deux semaines de séjour dans la baie de Hanatefau, face au village de Hapatoni, Tahuata et ses habitants se sont fait une belle place dans nos coeurs.


Premier matin à Tahuata : suivant les conseils de nos voisins de mouillage, nous ne tentons même pas le débarquement en annexe sur les gros cailloux de la plage, et descendons à la nage, avec un sac étanche. A peine avons-nous mis le pied à terre, que Te'ii se présente ; sa cabane, juste au-dessus, est la seule maison de l'anse. "Attends, je vais chercher mon cheval". Il revient au bout de deux minutes, alors que nous nous changeons. "Allez, on va au village, on va au village ?". Dans sa hâte à nous expliquer son île, les mots se précipitent dans sa bouche, se chevauchent les uns les autres, rendus savoureux par l'accent marquisien. "Vous n'avez pas de ding-ding ? (dinghy)" En moins de quinze minutes de trajet, nous à pied, lui juché sur sa petite jument baie, qu'il a capturée lui-même dans le Nord de l'île, il nous a déjà bourrés de caramboles, de pommes-citerne (des pommes Cythère ?) "Mmmh, c'est très-très bon ça", et de goyaves, déploré l'absence de pommes rouges, mangues et lychees. Nous avons cueilli citronnelle, basilic et petits piments. "Après, on va aller cueillir des pamplemousses?"

Il nous fait faire le tour de ses cousins sculpteurs, qui nous montrent les quelques pièces non encore emballées ; les plus grosses sculptures sont déjà toutes prêtes à partir dans l'Aranui, le cargo qui relie les Marquises au reste de la Polynésie. Tout va être vendu lors de l'Exposition des arts des Marquises, à Tahiti, ou dans des galeries d'art de Tahiti et de Bora. Il y a quelques pièces en bois de rose ou d'ébène, mais ici, à Hapatoni, la plupart des sculpteurs se sont mis à travailler l'os. Des gens de voiliers, rentrés chez eux, leur envoient parfois toutes sortes de matériaux : bois de renne, défense de sanglier, pierres de Nouvelle-Zélande, ivoire végétal de Panama ou encore dent de rhinocéros ou défense d'éléphant (! Comme quoi, il y a de tout à bord des voiliers de voyage, y compris des salopards...). On se laisse tenter par une petite tortue ornée de la croix marquisienne)

Le dernier sculpteur n'a guère envie de nous montrer ses pièces ; il préfère nous proposer une chasse au cochon pour le soir même. Et nous voilà embarqués à l'arrière d'un gros 4x4 sur une route étroite en diable et non bétonnée, tandis qu'à l'avant nos deux mentors, délirants d'enthousiasme tiennent leurs fusils, chargés et armés : que pourrait-il nous arriver ? Mais non, ils ont l'habitude et manipulent leurs armes avec précautions. Après une courte marche, à pas de loup, sur les hauteurs, l'un d'eux s'avance seul sous un gros manguier. Une approche lente avec un luxe de précautions, puis deux coups de feu : manqué ! Heureusement, Te'ii cueille la bête au passage, d'une balle en pleine tête. On se congratule : le goret doit bien faire ses vingt-cinq kilos !


De retour au village, après avoir brûlé les soies et gratté la peau, Te'ii et le cousin me demandent d'opérer l'animal. J'ai des doutes sur mes capacités à sauver le patient, jusqu'à ce que je comprenne qu'ils veulent que je le vide. Les cours de sécurité alimentaire revenant au galop, je fais sur le foie les incisions réglementaires : paf, plein de petits abcès. "Alors, il faut jeter la viande?" me demande Te'ii, comme en plaisantant, mais au fond, très sérieux. Pleins de respect pour mon savoir, ils ont balancé les boyaux à la mer au lieu de les jeter aux chiens.

Longuement cuit le soir même, mangé avec du riz et des bananes, le cochon était un régal, fondant à souhait. En revanche, nous avons pu constater que la bière marquisienne (de l'eau de coco fermentée, additionnée de jus de pamplemousse ou de goyave) fait bel et bien mal au crâne le lendemain !



Chasse à la chèvre - infructueuse, la chèvre trouvée avait deux tout jeunes cabris, Te'ii n'a pas tiré -, chasse aux crabes et limaces de mer, pêche à la "mitraillette" et à la traîne, cours de tressage de paniers en palme de cocotier, nous faisons notre apprentissage tropical. Nous apprenons à ouvrir facilement un crabe, une coco, à presser le lait de coco. Nous attrapons un poulet local, deux possibilités : un lacet rudimentaire pour le jour, ou une canne à pêche pour cueillir une poule dans l'arbre la nuit.


La slackline, qui n'avait eu aucun succès à Panama, fait de nous les rois du village auprès des gamins. Les adultes auraient bien envie d'essayer aussi, mais le moyen de grimper sur la ligne quand une dizaine de gosses surexcités en font le siège ? Hinano ("comme la bière!"), Hemoni, Hanatea, Hotini, Kouhi Poutona, Motu Tehani, Hinatea, Atanoua-la-petite-guerrière : aucun d'eux ne passerait son tour, pourtant tout se passe bien, sans dispute, les grands aidant les plus petits. Malgré quelques belles chutes, personne ne pleure. On pourrait y passer la journée entière. Quand il fait trop chaud, on va plutôt se baigner derrière la jetée, en ayant bien vérifié qu'il n'y ait pas de raie manta. Tous les gamins nagent comme des poissons et plongent déjà à plusieurs mètres sans difficulté.

Dès qu'on traverse le village, les gamins, sortis de nulle part, nous interpellent : "Anne-Cé, elle est où la corde ?" "Damien, l'élastique !". Déjà deux fois que nous allons jusqu'à Atuona, faire des courses et des travaux ; déjà deux fois que nous revenons dare-dare à Tahuata dès les corvées finies. Il va être temps de partir, tout en écrasant une petite larme !


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