Après trente-et-un jours passés en mer, nous faisons notre entrée dans la baie des Vierges sur l'île de Fatu Hiva, aux Marquises. La baie est très encaissée, ce qui provoque une accélération du vent par effet Venturi, et c'est face à des rafales à trente nœuds que nous pénétrons entre les hautes falaises qui marquent l'entrée. Les bateaux qui sont là ont l'air de trouver ce vent tout à fait normal, ce qui est un signe de bateaux de voyageur. Nous réussissons à ne pas nous ridiculiser en mouillant à notre tour, notre ancre tient, nous coupons le moteur et pouvons souffler : le bateau ne bouge plus. La transpacifique est finie ! Nous débouchons une bouteille de cidre pour fêter ça.
Nous découvrons le lendemain et dans les jours qui suivent le véritable paradis terrestre qu'est cette île.
Les habitants sont souriants et accueillants, tout le monde nous rend notre bonjour et nous sourit. Nous allons faire un tour à l'épicerie qui est plutôt bien achalandée, mais un petit problème se pose à nous : elle ne vend ni viande, ni poisson, ni fruit frais. Comment font les Marquisiens pour se procurer tout cela ?
Il suffit de demander à la nature, celle-ci leur fournit tout ce dont ils peuvent avoir besoin : les champs sont remplis d'arbres fruitiers très bien entretenus : bananiers, citronniers, pamplemoussiers, cocotiers, papayers, arbres à pain. L'eau de la montagne est potable, elle coule dans tous les robinets.
Si vous voulez du poisson, il suffit de lancer une ligne dans la baie et les poissons se ruent dessus. Je tente moi-même depuis le bord du bateau et remonte en quelques minutes des daurades ou des carangues, Il paraît que les langoustes abondent et qu'il suffit de les cueillir à la nuit tombée. Une promenade à la cascade nous permet de découvrir des grosses écrevisses qui nagent entre les rochers, pourchassés par de belles anguilles.
Vous êtes plutôt viande ? Pas de soucis, il suffit d'aller chasser le cochon sauvage ( La viande en est délicieuse) qui court dans la montagne, ou alors le cabri dont les bêlements s'entendent depuis le mouillage.
Pour l'électricité, c'est la rivière qui la fournit grâce à une centrale hydroélectrique toute neuve, suppléée par quelques panneaux solaires.
Les médicaments sont quant à eux tirés des plantes médicinales, selon un savoir-faire ancestral.
Et si vous voulez boire un verre, c'est possible aussi, quoiqu'un peu plus long : il faut faire fermenter de l'eau de Coco avec du jus de pamplemousse et de goyave, et vous obtiendrez au bout de quatre semaines une bière assez goûtue.

Les habitants de Hanavave sont tellement habitués à cette profusion de la nature qu'il leur semble absurde de vendre ces produits que l'on trouve si facilement. Ainsi il vous faudra troquer les côtelettes contre des cigarettes et des pamplemousses contre un peu de garcette.
Pour le poisson, le plus simple est de se servir soit-même, aucune compétence n'est requise. Un garçonnet de 9 ans sur la jetée remplit consciencieusement son seau de belles carangues et de dorades. Pas du tout impressionné quand je lui demande si c'est lui qui a pêché tout ça, il me répond d'un air concentré : il m'en faut encore un comme ça et après je peux rentrer. Tout en discutant avec moi il remonte une dorade de plus. Celle-ci est à peine posée sur le sol que sa petite sœur (6 ans ? ) se rue sur le poisson pour lui enlever l'hameçon...
L'absence de troquet dans le village paraît compliquer la dégustation de la bière locale. En pratique il vous suffit de vous promener à la tombée de la nuit samedi soir vers les quais. Vous y trouvez des petits groupes de Marquisiens en train de prendre le frais au bord de l'eau.
A la différence du parisien sur les berges du canal Saint-Martin, ici vous êtes accueillis à bras ouverts par chacun, qui vous propose riz et cochon grillé et vous tend une bouteille de sa production en vous promettant que vous n'aurez pas mal au crâne. C'est un mensonge...
Tous ces bienfaits ne vous coûtent que le prix d'une discussion à bâtons rompus avec votre bienfaiteur. Les Marquisiens ne sont effectivement pas assez riches pour voyager en-dehors de leur île, et considèrent donc les voyageurs comme un bon moyen pour découvrir le monde. Ils parlent avec vous un français assez imagé, entre eux en marquisien agrémenté de mots ou d'expressions française.
Ce petit bout de paradis est un territoire français, mais il faut bien avouer que vu d'ici la métropole est assez loin. Pas d'agressivité, et un certain fatalisme : mon interlocuteur d'un soir m'explique dépité qu'ils ne peuvent pas être indépendants, ils ont trop besoin de la France pour pouvoir envoyer les enfants à l'école. Il renchérit en faisant le vœu pieux qu'on découvre du nickel sur son île, comme en Nouvelle-Calédonie. Il n'a pas l'air tout à fait convaincu quand je lui explique qu'une mine de Nickel risquerait de tuer assez rapidement la générosité de la nature.