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El Pacifico

Damien

Il faut bien l'avouer, avant le départ nous étions un peu intimidés par cet Océan Pacifique. Il recouvre un tiers de la surface de notre Terre. Nous avions devant nous trois mille sept cents Miles Nautiques à parcourir sur la route directe, et plus de quatre mille en tenant compte des détours à faire pour traverser le terrible pot-au-noir* au plus court.

Il y a des lieux ou se concentrent les marins préparant une grande traversée. La Panamarina où nous avons préparé Yaga en est un. Le mouillage de Playita juste après le canal en est un autre. Tous les skippers ont en tête leurs propres doutes, leurs propres questions, et échangent les uns avec les autres à propos des différents choix techniques effectués. Lors de notre passage, un des principaux sujets de préoccupation était l'étendue de la zone sans vent entre Panama et les Galàpagos, et en corollaire la réponse à la question :

"Combien de litres de diesel embarquer pour pouvoir se déhaler dans les zones sans vent ?"

Il faut savoir que le skipper a naturellement tendance à prendre des marges de sécurité importantes, et à exagérer le péril à venir, pour être sûr d'être prêt à affronter toutes les éventualités. D'une discussion à l'autre, plus la préparation au départ est longue, plus la quantité de diesel prétendument indispensable devient délirante et les jerrycans s'entassent sur le pont. Nous n'avons pas échappé au syndrôme, malgré nos vaillants démentis :

"- Non mais nous on préfère naviguer à la voile et attendre que le vent revienne.

- Oui, mais tu sais, dans le pot-au-noir le vent peut être absent plusieurs semaines, etc..."

Bilan, je file acheter 3 Jerrycans de 5 galons.

Le dernier plein de courses est effectué, je termine en hâte de monter le dessalinisateur acheté pour l'occasion et le 10 avril, jour des 30 ans d'Anne-Cécile, nous levons l'ancre à destination des Marquises. Nous profitons tout d'abord d'un bon vent et d'un courant portant qui nous propulsent en-dehors du golfe de Panama, puis le casse-tête commence : par où passer pour négocier au mieux la zone sans vent ? Nous étudions en détail les fichiers gribs, et les pilot charts**, nous faisons quelques paris au petit bonheur la chance, et tirons plein sud. Cela fonctionne plutôt bien dans un premier temps, un courant de plus d'un nœud nous permet de faire une bonne moyenne malgré le vent faible. Nous lançons le moteur quand le vent faiblit, il restera allumé pendant une trentaine d'heures. Puis un vent léger mais de face se lève, ce qui oblige à obliquer vers l'Ouest et à faire du prés serré, ce qui n'est pas si désagréable sur une mer parfaitement plate. Enfin après plusieurs jours d'attente le vent adonne, et se renforce, nous dépassons les Galàpagos, archipel réputé magnifique où nous ne nous arrêtons pas, la faute aux droits d'entrée délirants, et nous atteignons enfin les alizés !

Nous franchissons l'équateur à la voile pour la première fois de notre vie. Nous sacrifions à la tradition et nous déguisons pour rendre hommage à Poséidon.

La suite du trajet est un peu plus facile, nous sommes poussés par le vent. Nous découvrons la grosse houle du Pacifique, plus de trois mètres de creux, par le travers. Les dauphins nous rendent quelques visites ; nous ne verrons qu'un seul bateau avec lequel nous régaterons sous spi au milieu du Pacifique ; les ciels nocturnes sont d'une beauté à couper le souffle, la voie lactée étale sa splendeur, l'étoile polaire a disparu mais la Croix-du-Sud la remplace.

C'est dur de raconter l'intensité d'une traversée transocéanique. Celle-ci a de particulier sa longueur. Les aléas sont tels sur un trajet aussi long qu'en partant nous n'avons vraiment aucune idée du temps nécessaire. Nous pensions mettre 45 jours, peut être 60, en tout cas pas moins de 30. Au final nous aurons mis 31 jours tout rond. 31 jours sur un voilier de dix mètres coupés du monde, c'est avant tout une aventure de couple, un moment privilégié pour prendre soin l'un de l'autre. Cet isolement aussi nous faisait un peu peur, il faut bien l'avouer. Etions nous capable de rester aussi longtemps enfermés ensemble dans une bote à chaussures à bascule ? Au final il n'y a pas eu un seul couac, pas une seule prise de bec. Nous nous connaissons encore mieux à l'arrivée. Nous avons maintenant aussi appris à nous protéger et à réduire les voiles si l'un des deux est fatigué, pour lui permettre de se reposer.

Enfin au bout de la route, il y a la récompense, l'arrivée dans la mythique baie des Vierges à Fatu Hiva.

* pot-au-noir : zone sans vent, dont la position varie légèrement au cours de l'année, mais située grosso modo au niveau de l'Equateur.

** pilot charts : plans des océans donnant, mois par mois, les directions et forces des vents et courants. Fascinant à étudier...

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