(Ecrit au mouillage – encombré, venteux mais bien plat- de Puerto Soller)
En bateau, bien des objets inanimés semblent dotés d'une volonté propre, plus ou moins bienveillante. Certains – taquets, winches, linteau de porte, panneau de pont à demi-ouvert - semblent se déplacer tout exprès pour se trouver sur le chemin de vos mains, crâne, orteils, lancés à pleine vitesse.
Les bouts, apparemment pleins de bonne volonté lorsqu'ils sont au travail, passent leurs périodes de chômage à s'entortiller de toutes les façons possibles, autour de tous les supports disponibles. La palme du démoniaque, à ce petit jeu-là , revient sans conteste au fil de pêche, qui en outre n'a encore jamais fait la preuve de son utilité à bord de Yaga.
D'autres objets sont appréciés pour leur service, mais considérés malgré tout par l'équipage avec une certaine méfiance : c'est le cas notamment des divers tuyaux à eau et câbles électriques de raccordement au quai, qui récalcitrent vigoureusement lors des opérations d'entrée et de sortie des coffres, mais font peu parler d'eux par ailleurs. Plus sournois, car d'un fonctionnement capricieux, est le moteur d'annexe dont le ronron irrégulier fait irrésistiblement penser à celui d'un matou qui vous mord alors que vous le caressez.
Heureusement, d'autres objets sont constamment amicaux et réconfortants : la coque du bateau, qui nous berce dans la houle comme une main géante ; les phares, dont l'oeil unique nous dit : "vous êtes ici, les dangers sont là , vous ne risquez plus rien"; la chaîne et le câblot du mouillage, qui travaillent bravement à maintenir Yaga en place tandis que tous les voisins dérapent.
Au sujet du mouillage, l'observation exhaustive et scientifique du mouillage du jour m'amène à conclure que mieux vaut se placer derrière un catamaran néo-zélandais (notre cas) que derrière un catamaran français (cas de notre voisin, qui s'époumona dans sa corne de brume pendant que le catamaran en question dérapait sur lui.)